Quels sont les indices pour évaluer les vulnérabilités ?

Table des matières

Introduction

La chaîne de fabrication du numérique, qui va de l’extraction des minerais jusqu’à l’assemblage des produits finis, a été confrontée à de nombreux aléas ces dix dernières années. Ces perturbations ont eu des impacts variés, tant sur la disponibilité des composants que sur les délais de production. Voici une synthèse des principaux aléas rencontrés :

  1. Catastrophes naturelles

    Inondations et ouragans : Par exemple, des inondations majeures ont repris dans des régions minières ou industrielles (comme en 2019 en Indonésie, lors de tempêtes ou inondations), entraînant la fermeture temporaire ou la destruction d’usines, notamment celles de la fabrication de composants électroniques. Séismes : Certains séismes ont endommagé des sites clés de production ou de traitement de minerais.

  2. Conflits et instabilités géopolitiques

    Conflits économiques : La guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine a accru les tensions sur l’approvisionnement de certains matériaux rares et composants. Sanctions et embargos : Par exemple, les tensions avec la Corée du Nord ou l’Iran ont limité l’accès à certains composants ou matériaux stratégiques. Conflits régionaux : La guerre en Ukraine a également perturbé le marché des minerais bruts et des composants électroniques en Europe.

  3. Concurrence et mondialisation

    Tensions sur la chaîne d’approvisionnement : La forte concurrence entre acteurs a accentué la recherche de fournisseurs alternatifs, souvent inégalement développés, ce qui a contribué à des pénuries ou à des délais rallongés. Dépendance à certains pays : Une concentration géographique de la production, notamment en Asie, a rendu la chaîne vulnérable face aux perturbations locales.

  4. Crises sociales et industrielles

    Mouvements sociaux : Grèves, protestations ou revendications (par exemple, en Chine ou en Europe) ont parfois interrompu la production ou retardé les livraisons. Fermeture d’usines : Certaines usines ont été fermées pour des raisons économiques ou environnementales, comme la fermeture de sites miniers ou d’usines de fabrication en Europe ou aux États-Unis, confrontés à des coûts élevés ou à des réglementations strictes.

  5. Pandémie de COVID-19

    La pandémie a été un facteur majeur, entraînant des confinements, des restrictions de déplacement, et des pénuries de main-d’œuvre, provoquant des retards importants dans l’ensemble de la chaîne mondiale.

  6. Problèmes logistiques et transports

    La congestion des ports, la pénurie de conteneurs et l’augmentation des coûts de transport maritime ou aérien ont également perturbé la livraison des composants et matériaux.

Ces aléas combinés ou successifs ont amplifié la vulnérabilité de la chaîne d’approvisionnement du numérique, rendant la gestion des risques cruciale pour l’industrie.

Mais jusqu’à quel point ces aléas impactent la chaîne ?

Une rupture d’approvisionnement d’un minerai depuis un pays faiblement producteur n’a pas le même impact que si le pays est un producteur important. Une rupture d’approvisionnement d’un minerai faiblement susbstituable n’a pas le même impact si le minerai est facilement remplaçable.

Les indices utilisés

Un conflit social ou une inondation arrête la mine de Spruce Pine en Caroline du Nord ont exactement le même impact sur la chaîne de fabrication : 80% du quartz ultra-pur pour la fabrication des creusets nécessaires aux wafers (tranche de silicium sur laquelle seront gravés les semi-conducteurs) provient de cette mine. L’impact est déterminé, non par la cause, mais par la concentration géographiqque ou industrielle.

On le voit donc, il faut déterminer les raisons qui crée la fragilité de la chaîne de fabrication du numérique. Quatre ont été identifiées et déployées dans l’application FabNum.

L’indice de Herfindahl-Hirschmann (IHH)

Pour trouver une explication complète, on peut se référer à Qu’est-ce que l’indice Herfindahl-Hirschman ? Index Herfindahl-Hirschman en bref

Dans le cadre de FabNum, il est utilisé à la fois pour la partie industrielle (celle que les économistes surveillent) et pour la partie géographique ; il se décline sur toutes les opérations et aussi sur les réserves de minerais. Il est calculé sur une base 100, avec des seuils bas à 15 et haut à 25 ; la variation n’a pas été intégrée à ce stade car l’application n’est pas encore dans une vision temporelle versionnée.

Plus la concentration d’une opération est élevée et donc l’IHH au-dessus de 25 et s’approchant de 100 et plus un impact sur cette opération touchant un producteur principal sera important ; en supposant qu’une opération d’extraction soit réalisée dans trois pays à hauteur de 50%, 30%, 20% ; en cas de vulnérabilité sur le pays produisant 50%, il est quasiment impossible que les deux autres acteurs compensent le manque. La chaîne de fabrication va donc se réduire et la vulnérabilité se propager jusqu’en bout de chaîne, surtout si le minerai ne peut pas se substituer (voir ICS plus loin).

Ainsi, dans le cadre d’une gestion des risques, l’IHH nous donne le niveau d’impact de la perturbation.

La probabilité de survenance se gère avec l’indice suivant.

L’indice de stabilité géopolitique (ISG)

Il existe déjà des indices pour évaluer la stabilité des pays selon certaines conditions. Comme on l’a décrit précédemment, plusieurs facteurs peuvent influer : géopolitique, climat, social.

L’ISG est donc un indice composite sur la base des trois indices reconnus suivants :

  • WGI (World Bank, “Political Stability & Absence of Violence”),
  • FSI (Fragile States Index) et
  • ND-GAIN (Climat & capacité d’adaptation)

Ils ont chacun été normalisés pour avoir une valeur entre 0 et 1 (peut-être faudrait-il ramener entre 0 et 100) ; plus un pays est stable, plus sa « note » est faible.

Afin de tenir compte de l’importance de chacun des indices par rapport à sa capacité de « nuisance », les pondérations mises en place sont les suivantes :

  • WGI -> 50%
  • FSI -> 30%
  • ND-GAIN -> 20%

Les seuils positionnés pour cet indice composite sont 40 pour le seuil bas et 70 pour le seuil haut.

Combinaison IHH / ISG

L’utilisation combinée des deux indices permet de positionner des opérations sur une matrice des risques 3 x 3, délimitée par les seuils.

Par exemple, si on considère la chaîne critique allant du dysprosium au smartphone, on obtient le schéma suivant (partie gauche) :

Figure 1. Plan d’action - vue d’ensemble des criticités

Toutes les opérations sont au-dessus du seuil pour l’IHH, avec notamment l’extraction qui induit le reste de la chaîne (au bémol près des stocks dont on a aucune connaissance eu égard à leur caractère stratégique).

L’indice de criticité de substituabilité (ICS)

Cet indice composite lui aussi est basé sur trois paramètres et s’adresse uniquement aux minerais dans la capacité de les substituer ou pas dans la fabrication des composants :

  • la faisabilité technique qui s’évalue aussi bien par rapport aux solutions existantes que celles qui font l’objet de recherche
  • le délai d’implantation d’une solution soit existante, soit issue de la recherche
  • le coût économique de la substitution aussi bien pour les produits finaux que pour les chaînes de fabrication qu’il faudrait adapter

La pondération choisie est de 40% sur la faisabilité technique et 30% pour le délai et le coût.

Les seuils sont bas et haut sont respectivement 0,3 et 0,6. L’évaluation des trois axes se fait selon le tableau suivant :

Score Faisabilité technique (40 %) Délai d’implémentation (30 %) Impact économique (30 %)
1.0 Aucun substitut connu Impossible à court/moyen terme (>10 ans) Coût prohibitif (>5x)
0.7 Substituts théoriques en recherche fondamentale Long terme (5-10 ans) Augmentation significative des coûts (2-5x)
0.5 Substituts en développement (TRL 4-6) Moyen terme (2-5 ans) Augmentation modérée des coûts (1.5-2x)
0.2 Substituts disponibles mais sous-optimaux Court terme (6-24 mois) Légère augmentation des coûts (<1.5x)
0.0 Substituts équivalents disponibles Immédiat (<6 mois) Coût équivalent ou inférieur

Comme l’IHH, l’ICS est un indice donnant le niveau d’impact en cas de risque avéré.

La probabilité se calcule avec l’indice suivant.

L’indice de vulnérabilité de concurrence (IVC)

Le numérique n’est pas le seul consommateur de minerais. Il est donc important de pouvoir le positionner par rapport aux autre secteurs afin d’évaluer la probabilité du risque d’approvisionnement en cas de tension.

Avec la vision de cette concurrence, on peut alors mieux estimer la probabilité d’impacter la chaîne de fabrication du numérique en cas de perturbation. Plus le marché est tendu, plus la concurrence est forte (faible pourcentage en part de marché pour le numérique par exemple) et plus un aléa impactera fortement le numérique.

Cet indice se base sur quatre axes qui sont mulitpliés les uns avec les autres :

  • la croissance relative des secteurs (autres secteurs par rapport au numérique)
  • leur part de marché relative : ratio entre les deux valeurs (si le numérique est à 10% de part de marché dans la consommation d’un minerai, le facteur résultant est de 9)
  • la tension du marché entre la demande et la capacité de production ; 0 si la demande est inférieure à l’offre, sinon différence entre les deux pourcentages multiplié par 100
  • le niveau des réserves (poids 1 si abondantes et 1,8 si elles sont très limitées)

Les seuils bas et haut sont respectivement de 15 et 60.

Combinaison entre ICS et IVC

L’utilisation combinée des deux indices permet de positionner un minerai dans une matrice 3 x 3, délimitée par les seuils.

En reprenant la figure précédente sur la partie droite, on que le dysprosium est un minerai faiblement substituable (il s’agit ici de la fabrication de l’audio) avec une concurrence modérée.

Indices à venir

Le numérique est un consommateur important d’eau, que ce soit dans la phase d’extraction ou de traitement des minerais et rentre donc en concurrence avec des usages domestiques ou d’autres usages professionnels (agriculture par exemple).

Il est donc important de positionner un indice de pression hydrique des opérations qu’il faudra rapprocher d’un indice de pression hydrique des pays pour identifer la concurrence qui pourra exacerber des pressions sociales ou industrielles.

De même, le numérique est un important consommateur d’énergie fossile en phase amont et d’électricité en fabrication. Un indice pression énergétique doit être positionné sur les opérations le nécessitant avec un indice de pression énergétique par pays.

Conclusion

L’ensemble de ces indices se positionnent ainsi :

Figure 1. Impacts et rétroactions sur la chaîne de fabrication

Forte des quatre indices, la réprésentation de la chaîne de fabrication peut ainsi s’accompagner d’une identification et évaluation des risques, afin de mieux la comprendre et identifier les points de faiblesse de sa propre organisation en fonction de scénarios à écrire.


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